martes, abril 05, 2005

Para el pequeño francófilo enamoradizo que todos llevamos dentro

«une certaine ressemblance existe, tout en évoluant, entre les femmes que nous aimons successivement, ressemblance qui tient à la fixité de notre tempérament parce que c’est lui qui les choisit, éliminant toutes celles qui ne nous seraient pas à la fois opposées et complémentaires, c’est-à-dire propres à satisfaire nos sens et à faire souffrir notre coeur. Elles sont, ces femmes, un produit de notre tempérament, une image, une projection renversées, un « négatif » de notre sensiblité. De sorte qu’un romancier pourrait au cours de la vie de son héros, peindre presque exactement semblables ses successives amours et donner par là l’impression non de s’imiter lui-même mais de créer, puisqu’il y a moins de force dans une innovation artificielle que dans une répétition destinée à suggérer une vérité neuve. Encore devrait-il noter dans le caractère de l’amoureux, un indice de variation qui s’accuse au fur et à mesure qu’on arrive dans de nouvelles régions, sous d’autres latitudes de la vie. Et peut-être exprimerait-il encore une vérité de plus si, peignant pour ses autres personnages de caractères, il s’abstenait d’en donner aucun à la femme aimée. Nous connaissons le caractère des indifférents, comment pourrions-nous saisir celui d’un être qui se confond avec notre vie, que bientôt nous ne séparons plus de nous-même, sur les mobiles duquel nous ne cessons de faire d’anxieuses hypothèses, perpétuellement remaniées ? S’élançant d’au-delà de l’intelligence, notre curiosité de la femme que nous aimons dépasse dans sa course le caractère de cette femme. Nous pourrions nous y arrêter que sans doute nous ne le voudrions pas. L’objet de notre inquiète investigation est plus essentiel que ces particularités de caractère, pareilles á ces petits losanges d’épiderme dont les combinaisons variées font l’originalité fleurie de la chair. Notre radiation intuitive les traverse et les images qu’elle nous rapporte ne sont point celles d’un visage particulaire mais représentent la morne et douloureuse universalité d’un squellette.»

Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs